Le Travail de l'artiste

Qu’est ce qui fonde le travail de l’artiste ? Sur quoi se base-t-il pour démarrer son oeuvre ? Qu’est-ce qui se passe dans sa tête ? A quel moment et comment l’idée, la forme prennent-elles corps, se développent-elles, se transforment-elles ? 

Chacun des artistes ici est venu avec son idée - préconçue ou pas -, parfois pas d’idée réelle sauf une histoire qu’il connait. Il l’a développé, et souvent a dû l’adapter au contexte de l’exposition, parce qu’il y a forcément des obstacles à l’idée de départ, que la matière ne réagit pas comment prévu, que le rendu ne correspond pas à l’image que l’on s’en faisait.

C’est alors que la créativité rentre en ligne de compte, c’est à dire la possibilité de modifier son projet initial, de se laisser entraîner par les circonstances, de découvrir de nouvelles pistes.

Ces modifications sont souvent liées aux rencontres, aux discussions avec les autres artistes, qui apportent chacun leurs idées, leurs techniques, leur sensibilité et leur expérience. Ou bien avec les visiteurs, qui tout à coup éclairent l’oeuvre d’un regard totalement nouveau.


Ici, au Symposium, chaque artiste a finalement développé et modifié son projet ainsi.

Pour commencer par moi, je me rends compte que mon habitude est de venir exposer les installations, en fonction du lieu en général, mais une fois posée le travail est fini. C’est l’installation elle-même qui est le “work in progres”. C’est pour cela que j’avais voulu intégrer la dimension des céramiques, avec des photos de personnes que je rencontrais au fur et à mesure de mon voyage.

Mais d’avoir fabriqué toutes les céramiques à l’avance, dans des formats assez grands, m’a dès le départ contraint et empêché de pouvoir m’adapter. Le fait d’utiliser une technique -les transferts décalcomanies - qui s’est avéré de mauvaise qualité et que je ne maitrisais pas totalement aussi. 

Mais cette expérience acadienne m’a permis d’expérimenter ce système : venir dans une place, s’y intégrer, rencontrer des personnes, écouter leur histoire, en garder une trace - par la photo, par le blog et surtout au final par l’expérience vidéo -. 

L’arbre à céramiques existe. Il est moins fourni que prévu mais il a rempli une part de son rôle de départ : être un médium, un élément de médiation entre les individus. Là où j’ai été déçu par mon propre travail, c’est par sa qualité esthétique et du coup par la possibilité d’évocation poétique que je voulais.

Mais le travail vidéo que j’ai fourni autour - le travail du blog aussi - m’ont rappelé à une sensibilité que j’avais un peu oublié en travaillant uniquement sur des installations fixes. C’est à dire que la création artistique est un mouvement continu qu’il faut alimenter sans cesse. Le travail sur la matière, quelle qu’elle soit, ne s’arrête pas, sous peine de sclérose. 

L’invention se nourrit de curiosité, de désir, d’attention.


Par ailleurs, l’idée que les installations auraient pu être installées ailleurs que dans l’Arena aurait pu venir plus tôt. Un lieu beaucoup plus passant, comme la Coop - le supermarché de la ville -, aurait été plus adéquat pour “Le Panneau du temps qui passe...” par exemple. 


Voir les démarches et le travail des autres artistes présents ici a été un moment intense et enrichissant. Parce qu’ils sont talentueux et que leur créativité est généreuse : elle abonde et s’étale littéralement sous nos yeux lorsqu’ils évoluent dans leur projet.

Regarder chacun leur projet évoluer, les solutions qu’ils ont trouvé à des problèmes complexes, mais surtout comment d’une idée ils peuvent passer à une autre, chacun à sa manière, mais pour tous pratiquement à la suite d’un processus de création très difficile à saisir - que l’on nomme le déclic -.


Entre autres exemples :

comment Jean-Yves Vigneau est arrivé sans idée très précise, hors sa connaissance culturelle, historique,... Il a vu les stands, qu’il a trouvé moches. Il s’est construit un double de ce stand en face de lui pour réfléchir. L’a imaginé flottant sur l’eau dans une marina. Puis a songé aux problèmes économiques liés à la pêche intensive et au fait que les boîtes de conserve de poisson canadien contiennent des poissons péchés dans d’autres pays. Et enfin imaginé des caisses en bois - un objet qu’il a déjà travaillé - échoués dans le port pour montrer aux visiteurs que le poisson qu’ils mangent ne provient plus d’ici.


comment Sonja Hébert avait imaginé travailler autour des méduses, dont la prolifération constante est due à la surpêche. En voyant les stands, elle s’est dit qu’elle pourrait occuper l’entre-stands, ce couloir où les artistes peuvent entreposer leur matériel et y créer une sorte de vague ou de spirale de papier sur laquelle des méduses seraient peintes.  Enfin, des images de sonar vues sur Internet - trouvées par analogie entre surpêche et techniques de détection des poissons - l’ont amené à les intégrer graphiquement à son stand.


comment Joël Boudreau a fabriqué sa Piéta Disco, se contraignant très fortement dès le départ. Créant l’armature, platrant, sculptant, collant des miroirs, peignant en noir - un long processus de fabrication -. Au final, se rendant compte que son Jesus blanc ne marchait pas. Ayant l’idée, en en discutant avec Jean-Yves Vigneau, de le couvrir de plumes - pour rappeler Icare -.


comment Jacques Martin, jour après jour, a modifié par petites touches sa forêt d’arbre, son sous-bois, leur disposition, rajoutant de la tourbe au sol, y dessinant un chemin, et finalement y dessinant comme une ombre ressemblant à la Sagrada Familia de Gaudi.


comment François Gaudet a trouvé dans le cimetière de l’église Ste Anne de Bocage, un lieu très religieux kitsch, une plaque avec un avertissement aux visiteurs, pour leur rappeler qu’il faut toujours se battre - en tant qu’acadiens - . Il l’a recopié. Puis en a fait son axe central. En parallèle, il n’a pas arrêté de mener un travail de recherche photographique, soit en suivant le travail des autres artistes -ce qui devrait mener à un livre -, soit en mettant en scène des situations pour un projet ultérieur avec Sébastien (et auquel j’ai pu collaboré en vidéo).


Je n’ai pas pu suivre chaque projet d’artiste dans le détail malheureusement. 

Mais voir Gilbert créer un vitrail avec des publicités est quelque chose.

Ou fabriquer deux mantes religieuses - destinées à être des gargouilles - avec de la cire fondue dans de l’argile.


Le travail de l’artiste est-ce aussi de se la couler douce ? De mettre les pieds dans l’eau ? Se promener comme d’autres touristes dans les paysages ?



En revenant de l’ile de Miscou, Jean-Yves Vigneau veut photographier les bateaux du port en cale sèche. Au passage, devant un bâtiment, d’impressionnantes séries de chaînes noires en tas. Le bâtiment abrite la société des “Agrès de pêche”. Petit moment de pur plaisir pour Sonja, Jean-Yves et Joël devant les matériaux, qui pourraient à chaque fois faire une nouvelle sculpture....




Invitation à déjeuner chez Jocelyn Jean et sa femme, dans leur maison de Grand-Anse, la seule maison moderne que j’ai vue dans le pays. Moment pour parler d’art et manger dans un cadre magnifique ...